« Comment ça va ? »

Une formule apparemment banale pour saluer quelqu'un et ouvrir une conversation. Elle est encore plus apparemment sympathique, voire empathique, mais examinons-la :

Comment

Un adverbe – ces mots froids et excessifs – suggérant la question par nature, sans même la nécessité d'un point d'interrogation. Contient l'idée d'impérativité. Son sens plus courant contient l'idée de curiosité. Si on considère l'impérativité et la curiosité, on peut dire qu'il a quelque chose d'intrusif.

C'est aussi l'ennemi du pourquoi. Le comment cherche à décrire sans expliquer, appliquant un regard froid sur les événements.

Dans d'autres cas d'usage très courant, il contient l'idée de perplexité, soit d'incompréhension, voire de désaccord.

Ça

Le pronom impersonnifiant par excellence, presque insultant.

« it » en anglais, est plus clairement chosifiant. La culture populaire en a même fait un monstre (Stephen King). Notons que ce monstre apparaît souvent sous la forme d'un clown, cachant donc sa vraie nature. Gollum, personnage éminemment égoïste et narcissique, l'emploie également pour parler des autres de façon méprisante (Tolkien).

Va

Conjugaison impérative du verbe aller. Mais ce mot est utilisé de façons très particulières en français. Difficile alors d'en faire l'exégèse. Difficile également d'interpréter les autres formes du verbe, lui-même très diversement employé. Retenons seulement la familiarité et l'impérativité qu'il contient, et que la diversité de ses emplois possibles en fait un mot froid.

Ça va

Deux mots très courts, deux lettres chacun, se finissant tous deux par le A, première lettre de l'alphabet. Maintenant assemblés, l'impérativité qu'ils contiennent est à son paroxysme.

« Comment ça va ? »

Après cette petite analyse philologique, l'apparente empathie contenue dans cette question a disparu. Question plus rhétorique qu'empathique, puisque contenant la réponse attendue : ça va.

L'ordre est quasiment explicite, on ne vous demande pas « Comment ça ne va pas ? », ni « Pourquoi ça va ? » ou « Pourquoi ça ne va pas ? ». Non : on vous intime d'aller bien.

Mais impérativité et impersonnalité ne convoquent aucun échange réel. Dans les faits, toute réponse négative, prononcée ou non, ne cherchera qu'à dévier la conversation et à parler d'autre chose. Ou comment une question banale recentre la banalité elle-même, pour en faire un véritable objectif.

Finalement, le premier mot reste le plus intéressant, le plus susceptible de convoquer un échange : comment... raconte-moi comment... dis-moi comment... Mais nous avons déjà démontré l'intrusivité et l'agression qu'il contient. Dans les usages c'est plutôt : comment peux-tu...? Comment est-ce possible... ?

Et si la personne n'allait pas, justement ? Et si la personne n'avait pas envie d'en parler ? Et si la personne venait d'enterrer son enfant, qu'en savez-vous ? Lui demander si « ça va » est le meilleur moyen de ne rien apprendre de son état.

« Bonjour »

Ce n'est pas pour rien que le mot bonjour s'est imposé en français. Formé lui-même de deux mots très courts, contenant chacun une forme de gaieté et de positivité. Notre analyse sémantique tendrait alors à l'opposer formellement à l'expression « ça va ».

En souhaitant un jour bon, on fait preuve de sympathie sans aucune intrusivité, ni prévalence. Le jour bon est supposément à peine commencé, personne ne peut donc deviner s'il sera réellement bon ou pas.

D'autres mots existent, encore plus neutres : Salut, ou Hello en anglais. Avec eux, on ne s'avance à rien et certes on ne prend aucun risque. Mais l'échange commence sur un pied d'égalité, avec une forme de cordialité possiblement universelle. On dépasse la sympathie (envers nos amis) pour tendre vers la générosité (envers le monde). Libre à nous de faire ensuite preuve de plus de créativité pour déclencher l'échange ou capter les humeurs.

L'empathie, elle, viendra plus tard, quand l'échange aura vraiment eu lieu. Inutile de s'en prévaloir à l'avance.